"De tout temps la beauté a été ressentie par certains comme une secrète insulte"
Il y a plusieurs manières de résister à l'avancée des idéologies réactionnaires.
Bien sûr, il va falloir être vigilants à ce qui y est dit, à ce qui est proposé en vote, vigilants à s'informer.
Bien sûr, il faudra aussi peut-être chercher à diffuser des informations, à faire savoir, autant que possible, à décrypter l'articulation faussée entre le discours et la
réalité, et l'idéologie sous-jacente.
Bien sûr, il va sans doute aussi falloir aller dans la rue, pour faire entendre nos voix.
Mais pourtant on oublie souvent un élément important dans le combat contre le conservatisme rétrograde : la beauté du monde, et les merveilles de la création humaine.
On a bien vu l'entourage culturel de haut niveau autour du nouveau président élu : de Doc Gynéco à Mireille Mathieu, en passant par Michel Sardou, Enrico Macias ou Jane
Manson.
Du jeune, du renouveau, de la distinction, de l'élévation, de la richesse intellectuelle et esthétique, du raffinement, de la subtilité. Du lourd.
Ça promet.
Alors, chers lecteurs, je vous en prie, je vous en supplie, considérez que la défense des musiques classiques(1) est aussi un engagement politique, en quelque sorte.
Que c'est une façon de défendre le Beau contre la vulgarité ordinaire. Que c'est une manière de ne pas laisser à une vieille bourgeoisie éclairée le luxe de se retrouver en cercle fermé dans des
concerts de prestiges, par pure pose sociale, et de prouver qu'un certain peuple aussi sait apprécier et approcher ce que l'Homme a su produire de meilleur.
On va vite me sortir le label dépréciateur qu'on sort toujours dans ces cas-là : élitisme !
Mais qu'est-ce que ça veut dire, élitisme ?
Si cela doit signifier une façon de rester entre soi avec ses hautes connaissances pour regarder de haut avec mépris touts ceux qui n'appartiennent pas au cercle, tout en
faisant en sorte qu'il est le plus difficile possible d'y entrer, ce n'est pas de l'élitisme, c'est de la connerie.
J'ai une toute autre définition de l'élitisme : une définition qui considère que non seulement, ce n'est pas honteux que de vouloir tenter d'atteindre ou du moins approcher ce
qu'il y a de meilleur, mais que c'est même vital ; que ce que j'appelle "meilleur", ce n'est pas de l'ordre de la performance, mais de la beauté, de la poésie, du sensible, et donc à terme du
partage et du vivre ensemble ; que ce "meilleur" possible n'est certainement pas à garder pour soi, mais à ouvrir à tout un chacun, et qu'il s'agit de faire profiter au plus grand nombre
l'élévation de l'âme que confère la contemplation du Beau, plutôt que de considérer que si la vulgarité ou le divertissement sont applaudis, c'est parce que c'est ce que les gens recherchent et
qu'ils ne sont pas capables d'appréhender quoi que ce soit d'autre, et qu'il serait donc légitime de les y laisser ; que parler d'élévation de l'âme, ce n'est pas fatalement un concept
nébulo-religieux, mais une façon d'être à soi, d'être au monde, et de partager avec les autres ; et qu'il n'y a aucun orgueil derrière le mot "élévation", puisque, je l'ai déjà dit, on n'est pas
dans l'ordre de la performance, il ne s'agit pas d'un classement, mais tendu vers un état d'esprit qui porte à l'échange, à la tolérance et au mieux-être, et qui vise à toujours aller plus loin
en ce sens.
Alors, je revendique mon élitisme.
Et, donc, je vous en prie, je vous en supplie, laissez tomber vos éventuelles préventions, allez aux concerts, faites-y venir des gens, achetez des disques, allez écouter les
orchestres ou les quatuors classiques occidentaux, les artistes classiques indiens, turcs, iraniens, que sais-je, ouvrons-nous les oreilles, faisons partager, faisons découvrir, soutenons les
musiciens, ne laissons pas les belles choses se faire écraser par le rouleau compresseur de l'obscurantisme larvé, et faisons en sorte que l'émerveillement partagé devant les splendeurs de l'Art
soit aussi un coin enfoncé dans l'idéologie sécuritaire, réactionnaire et fataliste qui vient de prendre le pouvoir.
(1)je parle au pluriel, pour y intégrer toutes les musiques classiques du monde.