Moi, ça a commencé par Piccolo, saxo et compagnie.
L'histoire de Piccolo, qui nous fait découvrir ses amis de l'orchestre. Et pis aussi, sur un autre disque, pour faire découvrir les balalaïkas, les maracas, les flûtes de pan, les sitars, et autres instruments du monde.
Alors Piccolo, saxo et compagnie, c'était du genre en boucle, voyez, «encore, encore», le vinyle qu'on grave une seconde fois, à force de passage sous le diamant, voyez. Enfin, c'est ce qu'on m'a raconté, moi j'étais trop petit pour m'en souvenir.
Et puis, bon, évidemment, dans le même temps, Pierre et le Loup, dans la version de Gérard Philippe, tellement écoutée que c'est pas possible, y'a pas moyen, toutes les autres versions
que je peux entendre maintenant ne me satisfont pas («mais naaaan, là il dit pas grand-père comme il faut, c'est n'importe quoiiii, et pis le "attention !", il le fait pas bieeen !»).
Après, vers les neuf ans en gros, il y a eu Bach.
Ouais, carrément. Autant ne pas faire les choses à moitié, hein, pas de demi-mesure. Donc paf : Johannes-Sebastien, Jojo-seb pour les intimes.
Je me rappelle, mes deux cassettes audios des variations Goldberg (par Gould, c'était l'époque), et des trois concertos pour violons (Anne-Sophie Mutter et Salvatore Accardo, probable que je choperais des boutons à l'écoute de cette version maintenant, les choses ont bien changées...).
Et je me souviens comment je mettais ma tête tout-près tout-près du lecteur à cassette, juste entre les deux haut-parleurs, qui (grandiose !) faisaient la stéréo, et je fermais les yeux.
Et après, je braillais du Bach à longueur de journée en construisant mes bases interstellaires et mes robots bioniques en légo.
Il y a eu aussi, en cassette, l'Arlésienne de Bizet, tube absolument redoutable, y réfléchir à deux fois avant de le faire écouter à un enfant, sous peine de scie épuisante et inépuisable.
Et puis la Jeune fille et la Mort, le quatuor de Schubert. Oui, à neuf ans, la Jeune fille et la Mort, bon ben ouais, voilà, chaipas, mais enfin, ça m'a pas trop traumatisé, non plus, hein.
(Ou alors...
Ou alors, si, ça viendrait de là, en faiiiit... Haaaa...)
Troisième grand étape, ado : la musique russe.
La musique russe à la fin du 19e et début du 20e siècle (comme beaucoup de musiques étrangères au consortium Allemagne-Italie) a ceci de particulier d'avoir cherché à se démarquer du style européen académique en faisant appel à des thèmes populaires, ce qui amène à "colorer" la tonalité par des modes inusités jusque-là, et à donner une pêche rythmique particulière.
Du coup, Une Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgsky, ou La grand Pâque russe de Rimsky-Korsakov ont été des must dans mon histoire auditive et musicale, ou Les Danses Polovtisennes du Prince Igor de Borodine. (La grande Pâque russe, si vous trouvez, écoutez ça, ça déménage un max : je ne comprends pas, c'est jamais joué. C'est une sorte de poème symphonique, qui s'inspire de la liturgie orthodoxe - d'où la Pâque.)
J'ajoute les quatuors de Chostakovitch, qui, si j'ai un peu laissé tomber maintenant (ça lasse, je trouve, par manque de "matière"), m'ont vraiment nettoyé les oreilles au moment où ils sont tombés dedans.
Et puis, il y a eu la bombe Bartok, arrivée par les quatuors. J'y ai senti un monde, un univers, foisonnant, râpeux mais généreux, exigeant mais sensible, à la fois libre et cohérent, abondant et explorable à l'infini. Un monde à moi.
Qui met des notes sur mes mots.
Qui met des notes là où je n'ai pas de mots.
Et puis est aussi arrivé Debussy.
Bêtement : il s'agissait de choisir une œuvre pour mon mémoire d'analyse au conservatoire de Montpellier. Alors, bon, bien embêté, je ne sais même plus pourquoi j'ai choisi La Mer de Debussy : probablement parce qu'au fond, je ne comprenais pas grand'chose à cette musique que je n'avais écouté que d'une oreille, et qui me semblait fuyante, glissante, sans aspérité saisissable, et que c'était le moyen de se pencher dessus pour me rendre compte sur pièce.
Oui mais voilà : se retrouver avec la partition de La Mer, scrutée mesure par mesure, note à note, à la ré-écouter des dizaines de fois, passage par passage, c'est entrer en communion avec ce qu'il y a de plus génial en musique, avec ce que le sonore est capable de générer de plus incroyable, d'invraisemblable, de plus sensuel, d'intelligent, de merveilleux : d'inouï, au propre comme au figuré.
Cela dit, plus le temps passe et plus je me rend compte à quel point je préfère jouer la musique que l'écouter. Jouer soi-même est évidemment une place privilégiée pour découvrir les œuvres.
Écouter me laisse passif, et frustré de ne pas saisir les détails, de ne pas être en plein milieu. Me trouver face à un orchestre me donne une drôle d'impression : car ma place, c'est dedans... Un peu comme un chirurgien qui serait hospitalisé, un boulanger qui irait acheter du pain, un prof qui se retrouverait en cours, un policier qui irait déclarer le vol de son scooter...
D'autant que la place d'altiste est évidemment parfaite pour cela, puisque vous vous retrouvez au cœur de l'harmonie, à manier toutes ces notes qui ne s'entendent pas directement mais qui sont nécessaires à former la matière sonore en devenir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Mozart himself préférait jouer à la place d'alto en quatuor, précisément pour être au milieu de la musique.
C'est pour cela que jouer la 2e symphonie de Brahms a été un remuage de tripes assez impressionnant (première œuvre jouée en orchestre à l'alto - ça le fait).
Jouer la 3e symphonie de Beethoven à été un choc tellurique. J'ai toujours, depuis, les poils qui se dressent, la gorge qui se serre, et la sensation de m'élever au dessus du sol, au même endroit de la partition, dans le deuxième mouvement, au point culminant, vous savez, là, mais si, quand ça fait taaa-tatataaaa-ta-ta-taaaa, lààà, mais siii, enfin voyoooons... (Bon, je vous ferai écouter si vous êtes sages).
Puis jouer la 1ère symphonie de Malher, une révélation, une fulgurance.
Et puis, enfin, j'ajouterais l'émotion la plus récente, ce concert de musique indienne.
Quand la musique devient un rituel sacré, que la moindre note, la note la plus humble, si intensément pure, presque douleureusement pure, vous connecte avec l'Univers entier sans que vous compreniez bien pourquoi, et que vous sortez de là en ayant l'impression étrange mais réelle que vous avez un peu mieux saisi ce qu'est l'être humain.
Voilà, en très résumé, les grandes étapes de mes découvertes et impressions sonores.
J'espère, évidemment, en découvrir encore, des merveilles.
Et je me demandais, par curiosité : et vous ?
C'est marrant, mais les tubes de variété ou rock qu'on a adoré et qui ont accompagné nos années passées, on a aucun mal à les évoquer et les confronter à ceux des autres, avec à la fois nostalgie, dérision, et délice.
Mais les œuvres classiques qui ont pu nous marquer, on les garde plus secrètes, pudiquement, comme quelque chose d'intime et de profond, ou peut-être est-ce juste parce que cela ne participe pas, socialement, à un mouvement mis en valeur, je ne sais pas.
Alors, amateur(trice)s passioné(e)s, ou simples auditeur(trice)s à l'occasion, quels sont, pour vous, les chocs musicaux, les souvenirs de concerts inoubliables, les œuvres, ou les principaux compositeurs qui vous restent gravés, qui vous ont remués, qui vous ont marqués, et vous accompagnent ?