En ces temps où l'on ose, sans honte, célébrer Simone de Beauvoir en montrant d'elle une photo à poils en couverture de journal, c'est-à-dire en illustrant le combat des femmes pour être considérées tout simplement comme des individus aussi dignes que les hommes, de manière à bien montrer que de toute façon, quoi qu'elles fassent, celles-ci seront toujours vues sous l'angle de leur "baisabilité", en ces temps, donc, il faut bien que je vous livre mon désarroi.
En effet, je ne comprends rien, je n'ai jamais rien compris à ce problème. Ça m'échappe. Voyez, c'est comme les gens qui vont à Eurodysney, ou qui regardent Julie Lescaut jusqu'au bout, je comprends pas.
Je comprends pas qu'à même travail, les salaires ne soient pas égaux. Ça dépasse mon entendement. Je ne comprends pas cette ségrégation économique. C'est comme si on disait aux noirs qu'ils ne sont pas autorisés à exercer certaines professions. Ou aux chinois qu'ils ne sont pas autorisés à entrer dans certains magasins. "Tu n'as pas le droit aux même choses que moi parce que ton ADN est différent du mien, qui est meilleur", voilà un truc qui me dépasse, je comprends pas.
Je ne comprends pas cette haine des femmes qui se traduit par tant de violences. Je ne comprends pas qu'il puisse y avoir tant de viols au sein même de la relation conjugale. Je ne comprends pas ces pressions terribles et cette culpabilisation faites aux femmes sur l'avortement. Je ne comprends pas qu'on presse les femmes d'être mères avant tout, ni qu'on parle "d'instinct maternel".
Je ne comprends pas ces hommes qui disent le plus benoîtement du monde "hoo, mais moi je suis féministe, puisque j'adôôôre les fâââmmes". Ils les adorent dans leur lit, à n'en pas douter, mais en quoi cela fait d'eux des défenseurs des droits et de la dignité des femmes, mystère. Ce sont les mêmes qui vous diront, avec des trémolos dans la voix, que les femmes sont l'avenir de l'homme, que les femmes valent mieux que les hommes, et que les hommes ont tout à apprendre des femmes. Mais enfin, quoi, en quoi un ADN différent ferait que tel ou tel groupe de population serait mieux informé de comment il est mieux de vivre ? Qu'est-ce que c'est que ces types qui en font des tonnes ? Ils chercheraient pas quelque chose, au fond, par hasard ?
Je ne comprends pas pourquoi tant de femmes définissent leur féminité par le maquillage ou les hauts talons. Comme si la féminité venait par la grâce d'accessoires ou de déguisement. Je ne comprends pas ces magazines féminins qui promeuvent à longueur de page tel fond de teint, tel bijou à la mode, tel tendance d'habillement, tel régime, qui montrent comme modèles des actrices connus (sur-maquillées et retouchées), comme si c'était cela, être femme. Quitte même à ce que ce soit moche(1). Pourquoi suivre une mode, faire comme toutes les autres, s'identifier à un détail vestimentaire ? Parce que ça fait devenir femme ? N'est-ce pas autant de petites filles qui jouent à être grandes ? Je ne comprends pas.
Et puis d'ailleurs, c'est quoi La féminité, La femme ? Cette manie, aussi, souvent, de faire de la féminité un mystère forcément mystérieux, d'en faire un continent à part inabordable aux hommes, d'ériger en statue déifiée La Femme. Comme si il n'y avait pas d'abord une espèce humaine, comme si il n'y avait pas des individus qui, tous se démerdent comme ils peuvent pour se définir, pour exister avec ce qu'ils sont, avec ce dont ils ont hérité, comme si chaque individu n'était pas un immense mystère en soi. Bien entendu, des modèles sociaux historiques très prégnants nous imposent une division de l'espèce en Homme et en Femme, avec les accessoires vendus avec, et il est sûrement impossible de s'en débarrasser totalement (moi le premier), mais enfin, quoi, de là à s'y vautrer avec délectation, je ne comprends pas.
Je ne comprends pas ces hommes qui entre eux, se permettent des remarques sur telle jolie femme qui vient de passer, remarques inévitablement portées sur leur potentiel sexuel, et ce de manière aussi vulgaire qu'assumée. Je ne comprend pas qu'on puisse manquer de respect de qui que ce soit, femme ou pas. Ces mêmes hommes, pris et interrogés séparément, affirmeront certainement avec force avec un grand respect pour la personne humaine. Pourtant, en groupe, à propos d'une femme, ce sont les vulgarités qui fusent, et vous vous faites passer pour un pisse-froid chiant si vous le faites remarquer. Je ne comprends pas.
Voilà, je ne sais pas si je peux être considéré comme un féministe en disant ce peu de chose, j'ai peur d'être renvoyé dans les cordes par de véritables féministes comme étant à côté de la plaque. Du reste je suis probablement très maladroit à en parler ; je ne suis qu'un pauvre bisounours béat qui croit en "liberté, égalité, fraternité", et qui voudrait qu'on se préoccupe de la dignité de l'Humanité dans son ensemble, sans distinction génétique particulière. D'autant plus que nous vivons une période des plus réactionnaires, sous la délicate et discrète férule de notre président bien-aimé (que Dieu lui fasse des gouzi-gouzis jusqu'à ce que mort s'ensuive).
Simplement, voilà, au cas où vous n'auriez pas saisi la substantifique moelle de ce billet : je ne comprends pas.
(1) Tenez par exemple, en ce moment je vois partout des femmes portant des bottes avec le pantalon qui rentre dedans. C'est horrible, j'ai l'impression d'être entouré de
fermières texanes qui vont monter dans leur 4X4 Hummer pour rentrer au ranch où les attend le mari bedonnant qui rôte sa bière en se grattant les couilles devant le superbowl, et en matant le
beau fusil à pompes trônant au-dessus de la cheminée. Non, vraiment, les filles, mettez des bottes si ça vous chante, ça peut être très joli, mais par pitié, ayez un peu de classe, ne mettez pas
le pantalon dedans...