D'abord, il faut bien vous imaginer la scène, pour que tout soit bien clair pour tout le monde.
Fermez les yeux.
Vous êtes au concert.
Tout devant, debout sur une petite estrade rien que pour lui, il y a un bonhomme à l'air vachement sérieux qui vous tourne le dos et qui gigote dans tous les sens en agitant une sorte de fleuret miniature, comme s'il se battait contre un adversaire invisible. Ou qu'il chassait une mouche particulièrement agaçante (et drôlement acharnée).
Ce type, traditionnellement vêtu d'une queue de pie improbable, dont on pourrait aisément imaginer qu'un clown en soit affublé si le cadre bourgeois de la salle de concert n'incitait pas au respect bigot de la pompe classieuse et distinguée qu'on impose à la musique dite classique, ce type, donc, tout le monde l'a reconnu c'est le The Big Boss, c'est le Chef, le chef d'orchestre.
Juste devant lui se trouve une marée humaine, plein de types avec les mêmes instruments en bois dans la main gauche, et la même baguette qu'ils tartinent allègrement sur ledit instrument, et tout ça réparti en catégories de taille.
On appelle cette marée humaine :
les cordes.
À votre gauche, les
premiers violons, ceux qui se tapent tous les trucs difficiles, et jouent tout le temps aiguë, et du coup se la pètent grave et jouent toujours des morceaux de bravoure à fond la caisse pendant les pauses ou avant d'entrer sur scène rien que pour (se) prouver qu'ils sont pas premier violon pour rien, non mais alors.
Dans un gros orchestre cossu, ces gens-là sont 16, voire 18. Si l'orchestre est plus modeste, ou si le répertoire abordé nécessite moins de boucan, ils seront dans les 10, 8 voire 6.
Notez bien les chiffres pairs : en effet, les musiciens sont deux pour une seule partition posée sur un seul pupitre, avec un des deux musiciens spécialement missionné pour tourner la page - celui à droite du pupitre, en général.
Pourquoi deux, me direz-vous ? Pourquoi pas chacun sa partoche (si vous voulez faire genre musicos, dites «partoche», ça donne immédiatement l'impression de faire partie du milieu) ? Ou pourquoi ne pas suivre à quatre ou cinq ?
Excellente question. Ne serait-ce que parce que c'est moi qui la pose. Hé bien, à plus de deux on y voit que dalle, et sinon, chacun sa partition ça double le nombre de photocopies à faire et le régisseur fait la gueule, ou alors ça double le nombre de locations de partitions et c'est le comptable qui fait la gueule, et puis faut bien qu'il y en ait qui tournent la page pendant que les autres continuent (on aurait l'air fins, tiens, à tous s'arrêter en même temps pour manipuler nos feuillets).
Enfin, j'imagine que c'est pour ça.
Je manque de données historiques sur le sujet.
Alors, à droite des premiers violons, ça dépend. Les allemands, qui ont le sens de l'ordre et des choses bien rangées, c'est bien connu, ont tout bêtement choisi de disposer les cordes en ordre décroissant de fréquence (ou par ordre croissant de taille) en arc de cercle autour du Grand Mamamouchi (sauf les contrebasses, pasque sinon ça rentre pas. Alors on les case derrière les violoncelles, là où on peut).
Donc, à droite des premiers violons, les
seconds violons (c'est logique, après les premiers. Normalement ils sont deux de moins en nombre d'exécutant), puis les
altos (ça c'est moi. On est, en général, deux de moins que les seconds) et puis encore à droite, à l'autre extrémité de l'arc de cercle, les
violoncelles (deux de moins que les altos, ce qui fait, si vous suivez bien, six de moins que les premiers violons), qui font chier le monde à toujours vouloir des sièges pas comme les autres, plus hauts, soi-disant chaipaquoi pour la tenue, et en plus à avoir par terre des planches pré-trouées pour y caler la pique qui soutient l'instrument, les ch'tits pépères.
Tout ce petit monde, avec les
contrebasses (qui sont encore deux de moins que les violoncelles, en théorie), ça donne donc en moyenne dans les 40-50 personnes. Et tout ça pour même pas faire autant de bruit qu'un ou deux trombones seuls. C'est fou, hein ?
Des fois, pour faire chic, ou par sentiment anti-alémanique, allez savoir, on intervertit les seconds violons et les violoncelles. Ou alors les altos et les violoncelles. Une fois même, j'ai joué avec l'ordre des cordes suivant : 1ers violons (eux, c'est les stars, donc de toute façon ils bougent pas) - altos - violoncelles - seconds violons.
Pour quoi faire ?
Je sais pas.
J'ai toujours pas compris.
(...à suivre)