Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les aventures de Djoni, baroudeur de l'espace (9)

   (Note aux éventuels nouveaux lecteurs : pour comprendre quelque chose à ce qui suit, il est recommandé de lire les épisodes précédents).

     Cher monsieur,
    En tant qu'utilisateur honnête et régulier d'internet, je voudrais me plaindre de ce qu'on trouve sur le Web. C'est vraiment inqualifiable, c'est un scandale. Tout fout le camp. Pauvre France, pauvre monde.
    L'histoire que nous propose ce pseudo-blogueur de Jac Baveur est totalement plate et inintéressante. Il ne se passe rien, aucune action, c'est mou du genou. Encore un coup de ces bien-pensants de bobos parisianistes, bande de tapettes. Je suis sûr que ce Baveur est favorable aux trente-cinq heures, à tous les coups. Un fainéant de saltimbanque ou de fonctionnaire. C'est avec des gens pareils que la grandeur de la France se trouve un peu plus humiliée chaque jour.
    Je souhaite donc, monsieur, que vous fassiez le nécessaire pour que les choses changent, et que cette histoire inculque enfin les vrais valeurs.
    Merci d'avance.

    Alfred Grognon, Caporal-chef en retraite au 25ème RIT de Grenoble.


épisode naïne

    Au petit matin, après une nuit pénible due, d'une part, à la dureté du sol, et d'autre part, à l'incapacité de HT2P de se mettre sur «veille», tout se passa très vite.

    Djoni et ses camarades d'infortune furent d'abord réveillés par des coups sourds qui semblaient ébranler toutes la base des sales petits gnomes qui les avaient fait prisonniers. Aussitôt, Klinty fut debout, près de la porte, à scruter de l'oreille les moindres bruits engendrés par l'activité des gnomes (oui, on peut scruter avec les oreilles, si je veux d'abord, et ne m'interrompez pas s'il vous plaît).
    Djoni ne pouvait s'empêcher de dissimuler son impatience :
    «Alors ? Alors ? Alors ?»
    - Chhhhtttt...»
    Tout le monde retint sa respiration ; le temps s'arrêta, figé sur Klinty en son état scrutatoire, les yeux plissé par l'effort de concentration extrême, une goutte de sueur perlant sur son front buriné. Soudain, il se redressa, et affirma d'un ton qui ne tolérait aucune contestation :
    - C'est le moment. Il faut sortir d'ici.
    - Heuuu... fit Djoni.
    - Ha ha, très drôle, sortir d'ici, mais bien sûr, ben voyons, môssieur Stewd sait tout mieux que tout le monde, la porte est fermée à clef mais môssieur Stewd il va nous l'ouvrir à la seule force de son petit doigt, ha ha, sarcastisa(1) Hildegonde.
    -Non, répondit calmement Klinty, grand seigneur, pas avec mon petit doigt.»

    (en réalité, même s'il ne se l'avouait pas ouvertement, Klinty se la pétait un peu dans ces moments là. Il avait beau savoir, que, forcément, en tant que héros chef de la Rebellion et tout, et en compagnie d'une bande de nazes comme il y en a peu, sa supériorité stratégique coulait de source sans qu'il y ait lieu d'en tirer une quelconque fierté. C'est comme de mesurer un mètre quatre-vingt quatre, ou d'avoir un corps élancé et racé, c'est une donnée, un fait établi, pas de quoi en faire un fromage. Mais, malgré tout, et comme tous les héros en fait, il faut le savoir, même si on nous le cache soigneusement pour ne pas écorner leur image, Klinty trouvait son petit plaisir à se la péter un peu, et à se la jouer sûr de lui quand il avait la solution que les autres n'avaient pas, en adoptant un ton l'air de pas y toucher, avec la nonchalance décontractée et supérieure de celui qui gère quoi qu'il arrive. En fait, sa solution devait forcément marcher puisque il était le héros, quel que soit le ton qu'il employait, mais bon, chacun trouve ses petits plaisirs là où il peut. En plus, ça marchait grave avec les filles. Enfin, apparemment, pas avec Hildegonde. Et, tant mieux pour lui, dans un sens, vu sa tronche.)

    - Pas avec mon petit doigt, mais avec ceci. HT2P, tu crois pouvoir ouvrir cette porte ?»
    HT2P affirma un sybillin «grouUit blEouPouit» et fonça vers la serrure électronique ; un petit capot dans le corps de l'espèce de chaudron qui constituait le droïde s'ouvrit, et une sorte de pince à tout faire sortit avec un «bzrrzrrzrrzr» appuyé, et un rien rouillé, semblait-il.
    Ce qui n'empêcha pas la porte de s'ouvrir toute grande quelques secondes après, Klinty s'efforçant de prendre l'air du gars blasé qui faisait ça tous les jours.
    Dans les couloirs, c'était la chienlit.


    Le telcom de Zorg sonna sur son bureau.
    Il se retint de soupirer.
    Il avait du travail, il fallait préparer les interrogatoires des rebelles captifs, se concentrer avant des séances de toisage qui allaient devoir être de grands moments de toisage, puisque il aurait affaire avec la Princesse Lycra en personne, qui ne devait pas se laisser toiser comme ça, c'était une femme de caractère, que Zorg respectait, pas comme ces carpettes de la Garde Impériale qu'il était contraint de côtoyer à longueur de temps.
    Mais, le nom de l'appelant apparut sur l'écran, et cette fois, Zorg soupira pour de bon.
    Il ne pouvait pas différer l'appel. Ça aurait été le Colonel de Services des télécommunications de l'armée, le Général en chef des Armées de Terre, le ministre de la Propagande, de la Publicité et des Jeux Télévisés, ou même l'Empereur en personne, il aurait pu refuser de répondre et aurait fait poireauter le temps qu'il aurait fallu.
    Mais pas là.

    C'était sa sœur.

    Sa sœur était à l'espèce humaine ce qu'un croisement entre un éléphant et un tigre du Bengale aurait représenté pour le règne animal: une présence annonciatrice de contrariétés et de désagréments.
    En fait, Zorg devait à de longues heures pénibles et torturantes en la présence de sa charmante grande sœur ses capacités exceptionnelles de toisage et de glacial commandement : c'était des capacités qu'il s'était forgé en réaction aux subtils tourments endurés du fait de cette chère Priscilla qui avait trouvé en son frère un jouet fort gratifiant, jusqu'à ce que Zorg se soit suffisamment perfectionné.
    Mais, tout expert qu'il était devenu en résistance psychique et en absence de toute émotion superflue, braver sa sœur lui semblait totalement impensable. Et il n'était pas le seul. En vérité, pas un seul Homme ou Extraterrestre dans l'Univers suffisamment sain d'esprit n'aurait pu imaginer que braver cette dame pouvait mener à quoi que ce soit d'autre qu'à une catastrophe personnelle très désagréable.

    Zorg pris un cachou, une inspiration, puis appuya sur un bouton.
    «Ouiiiii ??
    - Écoute Zorg, c'est moi Pricilla, c'est affreux, écoute, c'est un scandale, vraiment, c'est impensable des choses pareilles, je ne la comprends pas, et puis quoi mais enfin que fait la police, c'est un monde tout de même, hein, on se demande quand même à quoi servent nos impôts, c'est bien la peine de se faire racketter par l'Empire si c'est pour que ça ne serve à rien, parce que quand même c'est pas si compliqué de faire son travail, mais voilà maintenant on n'est plus à l'abri nulle part même si...
    - Priscilla... ?
    - ... mais ça ne va pas se passer comme ça, ho là là, j'ai des droits, moi, on est quand même dans un Empire, je te prie de croire qu'on va en entendre parler en haut lieu, car c'est un vrai scandale, enfin tout de même si la police faisait correctement son travail on n'en serait pas là, et puis c'est à cause de tous ses étrangers venus de toutes ces planètes aussi, voilà à quoi la police est occupée, on préfère protéger tous ces étrangers plutôt que de veiller sur les honnêtes citoyens, non mais franchement...
    - Priscilla, je...
    - ... et puis aussi avec ses idées bizarres ça devait arriver, hein, à force de s'occuper de ces trucs d'humanitaires, voilà bravo elle a gagné, et c'est du soucis pour sa pauvre mère, oh mais ça tu parles elle y a jamais pensé ça, c'est pas son problème, de toute façon ça ce sont les jeunes d'aujourd'hui, il faudrait que tout leur tombe comme ça tout cuit, ha mais moi de mon temps excuse-moi hein mais il fallait se démener pour s'en sortir, alors que maintenant, avec leur musique de dégénérés, voilà ce qui arrive, et quand est-ce que...
    - Hahem, Priscilla, QU'EST-CE QU'IL SE PASSE EXACTEMENT... ?
    - ...l'empereur devrait tout de même prendre des mesures qui... hein ? Ha oui, hé bien, figure-toi que Zorguinette a disparu ! Introuvable ! Sans prévenir, rien, elle est partie, sans même penser au mouron que se ferait sa pauvre mère, tu te rends compte, c'est une honte, mais elle a toujours été comme ça, à n'en faire qu'à sa tête, c'est son père qui a toujours été trop faible avec elle, ça je l'ai toujours dit, hein, et maintenant on voit le...»
    Zorg se rappelait en effet, avoir vaguement eu connaissance de l'existence d'une nièce.
    D'après ses maigres souvenirs, celle-ci avait un caractère au moins aussi trempé que sa mère, mais en réaction, avait adopté une vision de la vie radicalement opposée, et émargeait dans des mouvements plus ou moins légaux et anti-impériaux, au plus grand désespoir de sa mère. Zorg avait de ce fait toujours réussi à éviter les invitations à manger chez sa sœur, ce qu'il imaginait de la présence de deux furies à moins de deux mètres l'une de l'autre l'épuisant à l'avance.
    Sa sœur ne s'était toujours pas interrompue :
    - ...c'est le problème en ce moment, on accepte n'importe quoi, tu te rends compte, personne ne réfléchit plus, alors que quand même si on avait deux sous de bon sens...
    - Bon, JE VAIS VOIR CE QUE JE PEUX FAIRE» dit Zorg le plus fort possible, en estimant la chance d'avoir été entendu à 3 sur 10 environ. Puis il ouvrit un tiroir, en tira deux boules quiès, et laissant le pauvre telcom martyrisé en marche, essaya de se concentrer sur ses dossiers.


    Dans la base des petits gnomes en capuche, rien n'allait plus. Djoni et ses amis comprirent bien vite ce qui s'était passé : des assaillants avaient fait leur boulot d'assaillants, ils avaient assailli, et ils avaient l'air d'être plutôt doués à ce petit jeu-là, car les gnomes couraient en tous sens, affolés par le surgissement d'une surprise imprévue, ce qui, pensa fugitivement Klinty, était un bel exemple de pléonasme.
    Mais foin de figures de rhétorique, l'heure était à la baston.
    Cheequetabah était aux anges.
    Il s'employait au lancer de gnomes avec une efficacité redoutable, en frôlant le strike à chaque fois.
    Djoni se faisait certes une haute idée du baroudeur de l'espace qu'il était censé incarner ; mais, dans certaines situations, c'était à la guerre comme à la guerre, et nécessité faisait loi. Il s'adonnait donc à sa technique réflexe, qui consistait en des grands coups de pied dans les couilles, ce qui, vu la taille des gnomes, exigeait peu en matière de souplesse. La méthode, peu gracieuse gestuellement parlant, se révélait pourtant fort efficiente.
    Hildegonde, qui réfléchissait un peu plus que la moyenne, avait quant à elle préféré ramasser un blaster tombé des mains d'un gnome à peu près émasculé dorénavant après avoir pour son malheur croisé la route de Djoni, et dégommait tout gnome qui menaçait d'un blaster le moindre de ses camarades en pleine mêlée.
    Sam était certes un lymphatique, mais, comme tous les lymphatiques, il était capable d'une activité prodigieuse quand le besoin s'en faisait irrésistiblement sentir. Actuellement, il développait un travail de placage qui aurait fait sa fortune au pays de Galles.
    HT2P, lui, avait opté pour la déstabilisation psychologique : il poursuivait les gnomes avec sa pince afin de leur piquer les fesses, ce qui était du point de vue de la déroute morale de l'ennemi redoutablement performante.

    Klinty, lui, se baladait tranquillement dans les couloirs en sifflotant, se sachant vaguement suivi par les autres, en recherchant son chemin pour accéder à la piste de décollage sur laquelle devait encore se trouver le Sigma Fox Shippyards Coco Alpha-Class Shuttle Millenium Air Wing Falcon Omega III.
    Il ne fut pas plus surpris que cela en apercevant Stravisky et Hutch, planqués derrière leur vaisseau, blaster à la main, et tiraillant comme des forcenés sur tout gnome à portée.


    Les deux mètres quatorze de Kraboum firent irruption dans le poste de garde des prisons secrètes impériales. L'assiette, dans sa main, aurait pu paraître proportionnellement comme une petite soucoupe pour tasse à café de dinette d'enfant, mais il s'agissait bien d'une assiette standard, contenant un pavé de saumon, du riz parsemé de persil, des feuilles de mâche élégamment disposées, le tout nappé d'une délicate sauce crémeuse.
    Kraboum regarda son collègue Groumfi, et l'air de ne pas croire que ces mots sortaient effectivement de sa propre bouche, il dit :
    «Finalement, elle veut pas de la sauce vin-blanc échalottes. Elle préfère la sauce à l'estragon légèrement citronnée relevée de cardamone.»
    Groumfi se figea, et déglutit péniblement.
    «La sauce de tout à l'heure, quoi, juste avant ?»
    Kraboum, raide comme un piquet, répondit comme dans un rêve :
    «C'est ça.»
    Groumfi, le regard de celui qui doute d'être bien la même personne habitant son propre corps et à laquelle il s'était habitué depuis sa prime enfance, le regard de celui qui fait semblant de voir ailleurs pour ne pas sombrer dans une folie schizoïde, le regard de quelqu'un qui ne sait vraiment plus où il en est, dit :
    «Bon, hé bien on va arranger ça, je vais rapporter l'assiette à la cuisine, c'est pas grave, hein.»
   


(1) Du verbe sarcastiser, émettre un sarcasme. Ho et ne m'embêtez pas, hein, si vous croyez que c'est facile tous les jours, moi je fais ce que je peux, ou alors il nous faut plus de moyen mais tu parles c'est politique magouille et compagnie laiiiiisse tomber, de toute façon quand on voit ce qu'on voit, hein, et qu'on entend ce qu'entend, pfuu, mais ouiiii, c'est comme tout, ça, c'est comme tout.
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Ben ... la pagode du bois de Vincennes me paraît tout indiquée !
Répondre
A
Les sanatoriums on n'y va plus, Thianou, on vous les injecte. (Citation approximative de La Petite Marchande de prose, de Daniel Pennac, disponible en Folio dans toutes les bonnes librairies mais commencez plutôt par Au bonheur des ogres, c'est plus logique.)Il te reste donc le monastère bouddhique. Il y en a sûrement un petit à Paris..
Répondre
D
Un jour j'arrêterai ce blog, et j'irai un mois en sanatorium, ou alors en retraite dans un monastère boudhique...<br /> :o))
Répondre
A
(Pas de souci, ça ne s'est presque pas vu. ;-)
Répondre
M
>(Note : mon premier commentaire était de l'auto-dérision, par rapport au nombre incalculable de réactions... :o)))<br /> Comment ça, c'était de l'autodérision? Alors ça signifie que tu ne nous remercie pas du fond du coeur? Donc tu n'en as rien à cirer de nous, c'est bien ça, j'en était sûre!<br /> Au revoir (heu, merci Anna de m'avoir laissé copier par dessus ton épaule...)
Répondre