Malgré l'avis de certaines mauvaises langues, que je ne citerai pas, mais qui sont reconnaissables au fait qu'ils jouent presque tous du violon, jouer de l'alto est une des
activités humaines les plus complexes, nécessitant un esprit hors du commun, des nerfs d'acier, et une âme de Sage.
Bon, c'est vrai, il y a des exceptions. Mais quand même.
Dans un premier temps, il faut bien l'avouer, jouer de l'alto nécessite des pré-requis quasiment indispensables : en musique classique occidentale, en effet, il convient de
savoir détecter à peu près, que le petit rond blanc surmonté d'un trait, au milieu de toutes ces lignes, c'est une note qui a comme hauteur "si" et qui va durer deux temps, et encore, ça
dépend du dessin qu'il y a en début de ligne, parce qu'aussi bien ça pourrait être un "do", ou "ré", selon cet amusant système de "clefs" (de sol, de fa,
d'ut avec un numéro, pour l'alto c'est ut numéro 3 - non ce n'est pas un nom de parfum).
Ben oui, hein, les choses sont ainsi faites, même Proust il a bien du apprendre que "m-a" ça fait "ma", "d-e" ça fait "deu", et
"l-ei" ça fait "lè" mais bah oui ça s'écrit "lei" et c'est pareil que "lai" mais en fait c'est des exceptions c'est comme ça et puis c'est tout et maintenant
arrête de faire chier Marcel sinon tu vas te prendre des lignes à recopier pour demain et un mot à tes parents, alors répète plutôt après moi : "ma-de-lei-neu".
Donc, il s'agit bien de... du...
Je veux dire... le...
Rhaaa là là, j'ai peur qu'en faisant afficher le mot noir sur blanc sur vos écrans, le Mot qu'Il Ne Faut Pas Prononcer, cette pratique maudite et honnie entre toute, la moitié
d'entre vous ne se précipite tout nu dehors les yeux injectés de sang et la bave au lèvres en criant «C'EST LA FIN DU MOOOONDE», pendant que l'autre moitié se donne rendez-vous devant mon immeuble
avec des battes de base-ball à la main.
Courage Djac.
J'irai jusqu'au bout de mon sacerdoce bloguesque.
Je saurai garder la tête haute dans l'adversité.
Tel un Jésus du web, je prendrais sur moi toute la douleur d'Internet.
Il s'agit du solfège voilà hop je l'ai dit haa là là sinon il fait beau en ce moment hein haaa c'est agréable avec ce petit vent qui rafraîchit mais il paraît que ça va devenir
orageux et ça m'étonnerait pas ben oui hein ça peut pas durer mais ça va faire du bien de toute façon bon allez c'est pas tout ça hein comme on dit faut bien s'y mettre maintenant ça va pas se
faire tout seul hein allez zou.
Ensuite et surtout, il faut savoir qu'on a deux mains (si si), et que donc ça fait essentiellement deux problèmes.
Premier problème : le côté gauche.
La grande affaire c'est de laisser les épaules libres et non-crispées. Or, quand on place l'alto sous le menton, évidemment le réflexe premier de n'importe quel quidam c'est de
serrer l'épaule vers le haut : haaa, erreur fatale !
Essayez, je sais pas moi, de jouer au tennis ou de faire la vaisselle avec les épaules figées en position haute : a priori, outre que vos proches vous regarderont d'un drôle
d'air, le téléphone portable à la main, se demandant si oui ou non ça vaut le coup de composer le numéro de SOS psychatrie, vous constaterez de vous-même une certaine difficulté à jouir de la
fluidité habituelle de vos gestes aériens.
Alors si en plus il faut virevolter sur le manche(1), hein, je vous demande un peu.
De même, il est nécessaire de veiller à éviter le "syndrome du marteau".
En effet, prenez dans votre main un marteau, ou une casserole, ou un chat, enfin n'importe quel ustensile que vous auriez sous la main et qui pèse un certain poids : observez ce
qu'il se passe. Hé bien, selon une vieille histoire, aussi vieille que l'Humanité, de pouce opposable, vous serrez fermement entre le pouce et vos doigts la partie préhensile de l'ustensile
test.
Et voilà, la démonstration est faite : le réflexe de tout hominidé moyen est d'agripper avec sa mimine tout ce qu'il attrape, et ce depuis que ce rigolo hochet ça fait du bruit
quand on le remue et maman est contente.
Or, comment voulez-vous surfer sur le manche avec la vélocité du guépard et la souplesse de la belette si, en posant un doigt sur une corde, l'ensemble de la main adopte la
posture susdécrite et s'accroche au manche de l'alto comme à celui d'une pioche ?
Non mais comment voulez-vous ?
Non mais montrez-moi si vous êtes si malins ?
Alors ?
Ha haaaa, on se dégonfle, là, tout de suite, hein ?
Parce qu'on rigole, on rigole, mais justement, se débarrasser de réflexes ataviques, afin d'obtenir une légèreté de ballerine, ça prends la tête et un certain temps.
Après, évidemment, il faut savoir où poser les doigts exactement, avec quels écarts entre les doigts, pour qu'au lieu d'une horreur déglinguée à faire hurler à la mort même le
plus endurci des dobermans, s'élève dans l'atmosphère une douce et harmonieuse mélodie, voluptueuse et ensorcelante.
Mais bon, ça, c'est comme tout, ça s'apprend, ça se répète, ça se rabâche jusqu'à devenir un réflexe, un peu comme pour pointer à la pétanque, ou pour loger une boule de papier
froissée dans la corbeille du premier coup.
Deuxième problème : la main... ?
La main... ?
La main droite, merci, y'en a trois qui suivent.
Bon, la main droite, elle tient l'archet.
C'est-à-dire qu'elle fait la musique, en gros, puisque, primairement, le passage des crins sur les cordes, ça fabrique le son ; et donc, une variation de la manière dont les
crins passent sur les cordes, ça donne une variation du son, c'est d'une logique imparable.
Et là, forcément, imaginez un peu, fatalement, nous voilà de nouveau en présence des mêmes problèmes, hé oui, l'épaule coincée vers le haut et la poigne de fer, avec toute la
volonté du monde même d'Artagnan ne peut mener la baguette avec la dextérité et la fougue du chat poursuivant un bouchon pendu au bout d'une ficelle.
Tout le but est d'arriver au geste le plus direct et simple possible, malgré l'a priori négatif que l'on ressent en général la première fois qu'on se retrouve avec tout le barda
en main.
Il va s'agir au final de ressentir aux extrémités de vos doigts le contact des crins sur la corde par l'intermédiaire de la baguette, et d'associer de manière réflexe une
sensation interne d'état physique avec la production de tel type de son : près du chevalet, avec du poids au talon et une vitesse lente, c'est une sensation à trouver dans la main droite, et ça
donne un son très timbré et riche ; à la pointe, la baguette légèrement tournée de façon à ce que seulement une partie des crins ne touchent les cordes, vers la touche et avec très peu de poids,
voilà une autre sensation à mémoriser, qui donnera un son léger et effleuré, comme un murmure ; donner une direction à une ligne mélodique, ce sera dans des sensations d'équilibre entre poids et
vitesse donnés à l'archet, selon la résistance de la corde, différente suivant les cordes, et différente suivant la réaction de tel ou tel archet (tous uniques), sensations qu'il faut finir dans
l'idéal par apprécier de la même manière qu'un surfeur sur la vague, ou qu'un parapentiste dans le vent qui s'adapte aux moindres subtiles variations pour aller là où il veut.
En gros, l'archet, ça farte, ça glisse, c'est le beach trip.
J'espère, au moins, que désormais vous serez infiniment plus tolérant quand le petit Romain, 8 ans, vous jouera son petit morceau "Petit Âne" ou "Manège". Certes, c'est pénible,
mais au moins ça fait moins mal qu'un gadin en parapente.
En ce sens, la maîtrise d'un instrument se rapproche, au fond, d'une pratique d'Arts Martiaux, de Tai-Chi-Chuan, ou de Yoga, ou Chaipasquoi, dans le sens où utiliser son corps
dans un but de perfection du geste passe par la même logique : investir son corps et éliminer toute crispation inutile, et mêler étroitement mental et corporel, volonté et sensation
instinctive.
D'ailleurs, depuis peu, en cours de morceau, à chaque fin de trait difficile, je pousse un cri aigüe («AAAYAAAAAAAAIIIII»), et je salue.
Bon, mon prof a été un peu surpris, il m'a assuré que ça pouvait peut-être poser problème en concert, mais moi franchement je vois pas pourquoi.
Alors, imaginez un peu, finalement, quand on joue de la musique, il faut : lire la partition, décoder les signes, les mettre en rapport avec les gestes adéquats, maîtriser ses
gestes en anticipation, coordonner les deux mains, contrôler la division du temps pour être rythmiquement à l'heure, écouter ce que l'on joue soi-même et s'adapter en fonction, écouter ce que
jouent les autres et s'adapter en fonction, être attentif aux gestes du chef et/ou de ses camarades, les traduire en volonté musicale elle-même traduite en gestes, et rester sensible à la beauté de
la chose...
Je vous laisse imaginer le nombre époustouflant de zones corticales diverses et variées utilisées lors de cette opération.
C'est pour ça que les musiciens sont très très intelligents.
Quoique.
Pas tous.
(1) Non c'est pas cochon, bande de dégoûtants.