Selon leur niveau culturel, il se trouve que les gens ont des idées bien particulières et des a priori bien ancrés sur cette peuplade étrange et lointaine que forment les
musiciens.
Au niveau le plus bas, genre le niveau footballeur, présentatrice de météo, ou jeune cadre dynamique d'une entreprise conquérant de nouveaux marchés porteurs en vue
d'investissements à court terme prometteurs d'une plus-value de mes fesses, le musicien existe à peine, sinon entrevu comme une potiche remuant vaguement l'archet avec un air constipé pour faire
chic dans les grandes parades télévisuelles de la Star Academy.
À un niveau intermédiaire, c'est-à-dire celui de la majorité de la population, le musicien est plutôt perçu comme un être profondément suranné issu d'un siècle révolu, mais
capable d'exploits sportifs incroyables, avec force voltiges de folles mèches de cheveux, exploits dont on ne comprend pas bien la teneur ni l'utilité mais qui inspirent malgré tout un respect
trouble et indicible inscrit au plus profond de l'inconscient collectif, comme venu du fond des âges, quand l'aristocratie vous demandait encore de l'appeler «maître».
Et puis, au niveau que l'on appelle couramment «cultivé», sans que ce soit clairement définissable, mais bon, admettons, le musicien devient alors carrément un être de lumière,
doté d'une aura spectaculaire, comme une sorte de magicien des âmes, pur poète immatériel et messager des sentiments, grand gourou absolu et immaculé et pourvoyeur généreux d'émotions sublimes.
Ben, c'est pas pour dire, mais alors c'est pas ça du tout. Mais alors pas du tout du tout.
Les musiciens sont comme vous et moi. Enfin, surtout comme vous.
Voici quelques catégories, dont la liste n'est pas exhaustive, de musiciens typiques, que l'on rencontre tous les jours dans les conservatoires ou dans les orchestres. Notez que,
en plus d'être totalement subjectives, ces descriptions n'ont pas vocations à être générales : il existe autant d'exceptions que de ressemblances au modèle...
Le cachetonneur
Le cachetonneur a un emploi du temps chargé. Car le cachetonneur mange à tous les rateliers, si bien qu'on le recroise à de multiples occasions, voire même on le reconnaît à la
télé. Le cachetonneur a renoncé à toute ambition. Le cachetonneur n'a aucune imagination musicale, il se contente de faire. Le cachetonneur est très attentif à ce qu'une répétition ne dépasse pas
l'heure prévue. Le cachetonneur est incollable sur le fonctionnement des congés spectacles, des feuilles Spedidam, et des règlementations sur le nombre de service et leurs durées.
Si le chef fait peu de travail de détail, le cachetonneur râle parce que le travail est bâclé et que, donc, le chef est mauvais puisque superficiel. Si le chef fait du travail de
détail, le cachetonneur râle car on n'aura pas le temps de tout faire, que c'est de la perte de temps et que, donc, le chef est mauvais puisque il ne sait pas gérer les répétitions (et puis de
toute façon, le cachetonneur se sent tellement pro dans l'âme que la moindre critique l'exaspère. Pourtant, le cachetonneur joue aussi plat que l'encéphallogramme d'une moule). Si le cachetonneur
vous emmène en voiture, il ne manquera pas de vous faire participer aux frais d'essence (pour un trajet qu'il aurait de toute façon fait tout seul. Il n'y a pas de petit profit).
On se demande si le cachetonneur a un jour dans sa vie aimé sincèrement la musique.
Le p'tit con du CNSM
Le p'tit con du CNSM est sûr de soi et plein de l'arrogance de celui qui sait qu'il fait partie de l'élite (CNSM c'est à dire Conservatoire National Supérieur de Musique, et là
je parle de celui de Paris. Il y en a un aussi à Lyon, mais c'est pas pareil. La preuve, quand on dit CNSM, on pense automatiquement à celui de Paris, alors que quand on parle de celui de Lyon, on
dit CNSM de Lyon. Pour vous fixer les idées, je dirais que le CNSM est à la musique ce que l'ENA est à la politique, voyez).
Le p'tit con du CNSM arrive dans n'importe quel lieu de répétition comme en pays conquis. Rien n'impressionne le p'tit con du CNSM. Pour le p'tit con du CNSM, le chef est nul
de facto. À chaque décalage ou problème musical quelconque, le p'tit con du CNSM soupire et tire une tronche laissant bien comprendre qu'il n'en serait pas
là s'il jouait avec des musiciens de sa trempe. Le p'tit con du CNSM s'est bétonné une technique de fer qui lui permet d'impressionner les imbéciles. De même, le p'tit con du CNSM a tellement une
grande gueule que les imbéciles croient que ça lui donne raison.
On se demande si le p'tit con du CNSM a déjà été sincèrement musicalement ému un jour.
Le violoniste
Le violoniste est un être éminemment stressé. Le violoniste se doit d'être un killer, sinon rien. Le violoniste vit dans la hantise non exprimée de la fausse note. Le violoniste
n'a que des disques de concertos de violon chez lui. Le violoniste, pour s'échauffer avant une répétition, alors que d'autres feront tranquillement une gamme par exemple, enchaînera le début des
grands concertos, un ou deux extraits de caprices de Paganini, un bout de Bach (la chaconne, pour bien faire), et un petit Wieniawski pour la route (et après, le violoniste s'étonne d'avoir des
tendinites).
Faire de l'orchestre ennuie le violoniste ; et second violon, c'est pire. Le violoniste vit dans une angoisse permanente, celle de savoir comment joue le voisin, au cas où ça
serait mieux. Le violoniste est obsédé par la vitesse et la hauteur : dites-lui que l'important, en musique, c'est le contrôle du son, il regardera dans le vide bloqué pendant une demi-seconde,
puis reprendra son concerto de plus belle comme si rien ne s'était passé. Le violoniste collectionne les profs célèbres, non pas pour leur éventuelle valeur pédagogique, mais parce qu'ils sont
célèbres. Le violoniste raffole des blagues sur les altistes. Le violoniste donne l'impression permanente de se battre contre lui-même et contre son violon.
Le violoniste est incapable de jouer des contretemps.
Le violoniste ne donne pas très envie de jouer du violon.
L'altiste
L'altiste est flemmard. C'est une feignasse. De toute façon, à l'orchestre, quand on se plante, ça s'entend pas. Alors autant allez boire une bière. Présentez une partie
d'orchestre à un altiste : il va tourner les pages afin de chercher un endroit où le taux de double-croches semble s'élever dangereusement. Ayant trouvé un tel passage, il prendra négligemment
l'instrument, déchiffrera vaguement le passage en question, dira «hé bé, ça a pas l'air commode», puis rangera l'alto et ira boire une bière.
L'altiste regarde le violoniste avec un air de totale incompréhension. Cela dit, l'altiste a souvent un petit pincement au cœur en se disant que, peut-être, lui aussi
aurait pu être une star au devant de la scène, impressionnant tout le monde par ses facultés techniques virevoltantes, au lieu de jouer constamment les seconds rôles, voire de seulement constituer
le décor.
Mais, en même temps, il se dit que dans ce cas, il ne pourrait pas savourer sa bière, alors ça le rassure.
Le cuivre
Le cuivre est bourré. Le cuivre parle fort. Le cuivre aime les blagues des Grosses Têtes. Le cuivre vous assène une réthorique de tractopelle et un humour efficace comme du
Bigard. Le cuivre aime à se faire remarquer, c'en est presque un besoin vital. Mais ne vous y trompez pas, le cuivre est un être éminemment plus complexe qu'il n'y paraît. En effet, le cuivre est
en fait fragilisé par un manque de confiance en soi chronique. Il sait qu'il est beauf, et en conçoit une amertume découragée, ce qui l'incite à être encore plus beauf que beauf histoire de prouver
qu'on a bien raison de le traiter en beauf, et de montrer à ses yeux qu'il est effectivement incapable d'accéder à autre chose qu'à sa beaufitude. Le cuivre est donc pris dans un cercle vicieux
moral. C'est pour cela que le cuivre est bourré.
Le cuivre joue trop fort.