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Dis, monsieur, pourquoi tu blogues ?

(je ne suis pas certain que ce billet soit très clair et bien abouti, voire autre chose que banal. Vos observations sont donc les bienvenues)


Suite à un article d'Ardalia, j'ai eu envie de me poser ici ces mêmes questions.

Pourquoi on blogue, au fond ? Pourquoi on on montre des bouts de soi au public ? Pourquoi même commenter, à la limite ? Dans quelles proportions se montre-t-on ou se cache-t-on ? Pourquoi se montre-t-on, ou se cache-t-on ? Dans quelle mesure l'écran fait-il vraiment écran ? À quoi bon raconter des trucs à l'internet du monde entier ? Pourquoi Myspace, Facebook, les blogs, ont-ils un tel succès ?


Je m'était toujours posé ce genre de questions, depuis un moment, mais tout dernièrement, rappelez-vous, j'ai publié un article sur des films qui m'avaient touché. J'avais très envie de faire cet article, mais en même temps, la question s'est posée : mais pour quoi faire ? En quoi ça va passionner les gens que j'ai vu Des souris et des hommes ? Qu'est-ce qui se joue donc ici ?

Je me rappelle cette belle formulation de Serge Tisseron (psychanalyste spécialisé dans l'image), concernant Myspace et Facebook, mais applicable aux blogs : "vitrine d'ego en quête de reconnaissance". Une vitrine, c'est à la fois un masque, mais aussi une transparence ; c'est aussi fatalement un présentoir, donc, un appel, une publicité, une invitation...

Les mots d'Ardalia sonnent également très justes :

"Où sont les êtres derrières ces mots ? Ces êtres complexes et décomplexés par l’anonymat, qui ne réalisent pas, souvent, combien leur masque fait partie d’eux-mêmes, ne serait-ce que dans le choix du pseudonyme. Si j’écoute bien, au fond de moi, j’entends une voix enfantine qui dit : « Puisque je sais qui tu es, pourquoi tu triches ? »
 

Ô blogueur, ton discours ne te cache pas, il te déshabille !".


Rien que de faire un blog, la démarche même, dit quelque chose de quelqu'un. L'utilisation qui en est faite, au-delà du sens immédiat des mots écrits, en dit long aussi. Pourtant il n'est pas rare de lire des blogueurs qui affirment qu'ils sont très différents dans la vie réelle, que le blog n'est qu'une façade - oui mais alors, "pourquoi tu triches" ?


Passons sur les cas clairs et évidents. L'utilisation professionnelle ou simili pro de Myspace, de Facebook ou d'un blog, pour de la publicité, ou la formation d'un réseau de contacts.

Ou le respect minimal de la vie privée, demandant de ne pas livrer son numéro de téléphone, ou même son vrai nom, sur le net - on ne peut pas savoir sur qui on tombe, on m'a déjà menacé ici même de me casser la gueule...


À part cela, à quoi bon bloguer et commenter ?

Pour ma part, en me plaçant du côté du lecteur, mon intérêt va aux blogs informatifs avec style.

Je m'explique.


En tant que lecteur, pourquoi un blog m'intéresse, au fond ?

Le fait d'abord qu'il soit informatif, c'est-à-dire qu'il m'apporte un savoir, une analyse, un point de vue, un angle, qui fait réfléchir, qui montre un aspect que je n'aurai pas trouvé sinon. J'essaie d'être dans ce critère, par exemple, quand je publie des billets sur la musique.

Ce caractère informatif est à prendre au sens large : je pense par exemple autant au blog d'Anna, qui chronique des livres qui n'ont que peu ou pas d'écho ailleurs, au blog de Brendufat qui détaille le CSS et le html, ou au blog d'Arbobo qui chronique le monde rock, qu'aux blogs d'Ardalia ou de Mebahel, qui livrent une analyse d'elles-même ou des gens qui les entourent : dans ce cas, le caractère informatif vient du mouvement d'analyse lui-même, dans la richesse du regard qui décortique, dans ce décortiquage (si, ça existe j'ai vérifié) même, dont, personnellement, je suis incapable.


Mais je me rend compte que ce caractère informatif est indissociable du caractère stylistique, pour moi(1). Si je reprend l'exemple d'arbobo, quel intérêt aurait son blog s'il s'agissait purement de rapporter la sortie d'un disque, ou de faire la bio de tel ou tel artiste ? Autant acheter les Inrockuptibles... Ce qu'apporte arbobo, c'est un "travail", qui lui est propre : sur la chronique de tel disque ou tel artiste, il fera un billet d'un kilomètre de long, parce qu'il y apporte son ressenti, ses références, son univers, son phrasé. Je pense également au blog des Posuto : les billets sont toujours centrés sur une information, certes, mais cela ne suffit pas à en faire l'intérêt. Qui se préoccuperait de savoir que TU24 va passer près de nous  - mis à part des passionnés d'astronomie ? C'est parce que Kiki nous fait partager sa fantaisie, que l'apparition de TU24 prend toute une poésie - et c'est en fait l'essence même d'un écrivain, de ré-inventer le monde, d'habiller le réel de poésie, de nous enrichir d'un autre regard.


Un blog qui ne serait qu'informatif n'apporterait pas grand'chose, à mon sens. Parce qu'il y manquerait une présence, un regard : c'est cette présence, à travers un vrai travail de mise en forme, qui m'attache au blog. A contrario, du style sans réel caractère informatif (toujours au sens large), ou disons, à caractère informatif pauvre, on serait dans la pose pure, le désir de se montrer sans autre fondement (c'est le même problème en littérature, en fait).

Bien sûr, dans le cas d'un blog informatif avec style, on reste toujours dans la "vitrine d'ego en quête de reconnaissance". Mais il y a échange, dans le même mouvement que celui, habituellement, d'un artiste vers son public : quelque chose le pousse à montrer son travail, un désir d'être aimé, mais aussi le pur plaisir du travail lui-même, en soi - en échange de quoi le public profite de son travail pour s'en nourrir pour son propre compte.


Mais qu'en est-il de tous ces blogs qui ne sont pas informatifs, ou sans style, ou ni l'un ni l'autre ? Qu'en est-il des articles du genre du mien, celui sur les films que j'ai aimé (et d'autres) ?

J'ai bien l'impression tenace qu'alors, le but est de seulement se montrer, de séduire et de se séduire, de dire "j'existe".


Car comment expliquer autrement cette volonté que j'ai pu avoir de vous dire : "voilà, ce film, je l'ai aimé". Oui, et alors ?

Vous me direz : peut-être que grâce à toi, certains ont regardé ce film et l'ont apprécié. Hé bien j'insiste : et alors quand même ? Quelle serait cette prétention qui me pousserait à croire que je vais vraiment apporter quelque chose ? Parce que ce film m'a touché, alors il a une valeur, et cette valeur, que je lui donne donc, va "élever" d'autres personnes, en cela qu'ils partageront ce que j'y vois, moi, ce qui est tellement précieux ? Ce film porte une parcelle de moi, donc il va vous éclairer : il y a bien une sorte de mouvement de prétention là-dedans. Car c'est très différent, je crois, de parler à l'occasion à un ami d'un film qu'on a aimé, que de l'afficher sur internet - ou alors, c'est tout simplement l'oublier, et avoir l'impression qu'on ne parle qu'à ses potes.


Il faut le voir franchement : j'ai parlé de ces films pour montrer qui je suis. Pour que vous vous disiez : "ha ouais, il voit des films bien, c'est un type bien, j'aime ce gars". C'est pour me conforter dans une image de moi-même positive, pour me convaincre moi-même que je suis un type bien, et, le cas échéant, que vous me le confirmiez.

Et si j'affirmais autre chose, Ardalia serait en droit de me demander : "pourquoi tu triches" ?


Il m'apparaît que majoritairement, les blogs sont en plein dans cette problématique, et ils prolifèrent. Tout comme les pages Myspace (hors réseau pro, encore une fois), collections débordantes de vidéos, de photos, de listes pléthoriques de centre d'intérêts, de tout un attirail d'"amis" (avec des stars dedans, si possible)...

Facebook est un peu dans une autre logique - la personnalisation des pages est bien plus limitée (je me suis inscrit pour voir). Mais, passé les premiers instants rigolos consistant à retrouver des connaissances ou amis, pour ma part je n'y ai vu qu'une inutilité foncière, à part de constituer un trombinoscope - mais en quoi avoir besoin d'un trombinoscope de gens qu'on connait ? Sinon, d'être toujours dans cette même dynamique, de se rassurer, de conforter son petit monde personnel, et d'avoir des personnes qui valident la valeur de ce petit monde pendant que vous validez le leur ?


Je crois qu'au fond on est en permanence ici dans une balance entre se rassurer sur soi/se faire aimer des autres, deux impulsions qui se confortent l'une l'autre. Tout n'est pas réductible à cela, sans doute, mais il me semble qu'il s'agit de l'enjeu central.

Même seulement dans l'écriture de commentaires, on peut être aussi dans ce jeu - ce que j'ai fabriqué sur l'ex-blog TV de Télérama, qu'était-ce d'autre, finalement(2) ?


Tout ceci peut paraître banal à dire, mais ce qui est surprenant, c'est que la question est peu posée : comme il s'agit d'un plaisir, d'un loisir, elle ne semble pas à envisager, cela va de soi - ou alors, on évite la réponse, en se persuadant qu'on maîtrise bien son image, qu'on "sait ce qu'on fait", ou seulement qu'on fait ça "comme ça".

Or, je me demande à quel point l'écran ne nous cache pas à nous-même plus qu'aux autres.


Une première question intéressante est évidemment de se poser la question pour soi : quel mouvement personnel et intérieur amène chacun à cette posture ?

Une deuxième question intéressante est de se demander en quoi l'époque actuelle appuie précisément là-dessus ; et dans quelle mesure la mise à disposition de cet outil qu'est internet dans cet usage-là est sain, ou malsain ? En quoi cette pratique est bénéfique, ou en quoi elle enferme et piège ?


Une troisième question, très vicieuse, serait de se demander quel est le statut même de cet article que je viens d'écrire...


(1) Je ne parle pas d'habillage, hein, qui fait aussi office de vitrine, mais bien du style du contenu même.
(2) Pour ceux qui n'auraient pas connu, c'est sur ce blog que j'ai commencé à écrire des bêtises en commentaire, avant d'ouvrir ce blog-ci.

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D
>Giny : ben il ne te reste plus qu'à ouvrir ton propre blog ! Hin hin hin...;o)Et, en effet, il faut une drôle de motivation pour aller poster chez Passouline...(Normalement, les comms c'est instantané, en fonctionnement normal - mais il arrive que les serveurs d'over-blog rament, bugguent, etc... Ça revient assez vite, en général.)
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G
mince, je réalise, c'est ''malaise dans la culture'' pour FREUD, de même c'est par la culture (et non la civilisation) que l'Homme tente d'orienter/sublimer la violence...enfin, encore que de culture à civilisation, ces 2 termes se recoupent peut-être beaucoup...
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G
Ah si! c'est instantané..snif pour mon beau message précédent!
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G
Je suis dégoutée, j'ai laissé un assez long mot et, au moment de le poster, l'écran a marqué ''terminé'', si bien que j'ai eu un doute sur le fait qu'il soit parti aux oubliettes...et je regarde 1H30 après et en effet, y a rien!Bon, je vais redire en gros ce que j'avais dit, ça me frustre, sinon!Je venais de regarder le blog de clopinette& les commentaires associés, suite au lien de Djac et j'en ressortais toute retournée par tant de violence!  Je trouvais aussi que cela illustrait bien cet article-ci (les différentes raisons pour lesquelles bloguer/commenter). Que en effet ''on récolte ce qu'on sème'' et que le blog reflète son créateur (mais sans mauvaise pensée pour clopinette, dont la lecture des écrits m'a touchée), voilà pourquoi je me disais que j'étais pas prête de poster un mot sur un blog genre assouline, de peur de me faire massacrer par des trolls (quel univers impitoyable! j'en étais restée au seigneur des anneaux, moi) et que je me sentais bcp+sécure sur le blog de Djac!Djac rempli de désarroi par le fait que la culture& l'art ne tirent pas l'Homme hors de la violence, et en effet, la civilisation humaine est une tentative de la juguler mais, inhérente à l'homme, elle refait surface autrement (FREUD dans ''malaise ds la civilisation'', ROGER CAILLOIS et BATAILLE au sujet du Sacré on a analysé cela). De meme cela me faisait penser à REVEL (dont je disais au passage que j'avais survécu aux pages sur la métaphysique classique de LEIBNIZ&SPINOZA (merci à Djac dont le fait de savoir qu'il était passé par là m'a aidé), sans être sure d'avoir bien compris (enfin, si y a qq chose à comprendre)) parlant de l'homme déraisonnable dans un univers (qui serait) rationnel, triste constat après l'euphorie des Lumières...En tout cas, ça déborde d'affects&de violence ces échanges entre intervenants!! Brr! Sinon j'ai dit aussi que j'avais trouvé très intéressante la question du style, et que j'en aurais bien lu plus là-dessus....Voilà. Bon, c'était mieux chiadé tout à l'heure mais tant pis, c'est peut-être moins compréhensible du coup mais j'aurai la satisfaction narcissique de l'avoir quand meme dit...Enfin, si ça passe cette fois-ci.. une 3è fois, j'aurai pas le courage... Et si ça se trouve mon message est passé entre-temps? Ca marche comment, Djac? C'est pas quasi-instantané?
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D
>mixlamalice : merci pour le commentaire sur la rdl. Je trouve que cet excès de pleurs autour du jouet cassé est vraiment étonnant, et en contradiction totale avec la volonté (et souvent l'auto-satisfaction due à) d'être des super-cultivés qui dissertent de sujets super-cultivés. Tout cela est tellement dans la posture avant toute chose (dans l'immense majorité des cas) que les bras m'en tombe, je veux dire cette dichotomie entre culture hyper pointue (et on bombe le torse en montrant qu'on en est doté) et affects débordants de l'autre. On vient se plaindre de l'arrivée de trolls, sans jamais remettre en cause que vitupérer avec affects, même intelligemment sur le fond, ça ne peut qu'attirer ceux qui vitupèrent, même le plus connement. Bref, on récolte ce qu'on sème - mais on refuse de le voir, surtout.(pour ceux qui ne comprennent pas de ce qu'il s'agit, c'est du blog de Passouline - la république des livres - dont il s'agit, discuté (entre autre) ici : http://clopinet.canalblog.com/archives/2008/10/14/10947380.html#c18338915) Pour le sujet sur les blogs et leur pratique, évidemment, chacun a des raisons particulières et propres, mais ce qui est intéressant c'est de voir qu'on tombe tous, plus ou moins, dans les mêmes travers, ou qu'en tout cas, il y a des dénominateurs communs à la pratique du blog au-delà des raisons particulières. Y'a des études sociologiques à mener !>Giny : un sujet et un article qui ressort brusquement ! :o) (ha ben quand j'en serai à 15300 articles, moi...)Les niveaux d'interprétation de Derrida, c'est exactement ça (enfin, tel que je le comprends) ! On croit dire quelque chose, et en fait, on en dit plein d'autres, en couches... La question est : veut-on bien le voir ? Ça n'est pas évident : le refus farouche de certains quand on leur fait remarquer que leur intention parait dédoublée et que transparait derrière les mots autre chose que leur sens premier...
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