Suite à l'intervention de collégiens du club-journal de leur établissement sur le
blogTV de Télérama, je me pose de nouveau cette question que je me suis souvent posée, et qui en appelle beaucoup d'autres : comment peut-on rester scotché devant des émissions de télévision dont on sait pertinemment le vide abyssal et le rien ontologique, vide quasiment assumé, d'ailleurs, tant les animateurs les plus veules de la petite lucarne font partie de cette étrange sorte de gens qui non seulement sont cons, mais en plus sont tout à fait fiers de l'être.
C'est vrai, quoi, ne niez pas, on s'est tous retrouvé comatant devant le pire néant de la pensée humaine représentée sur l'écran coloré, en grignotant vaguement des cacahuètes et des olives, en sirotant un liquide dont on est à la rigueur à peine conscient, ou en tartinant sans conviction des tranches de pain d'une pâte à tartiner célèbre.
On sait que c'est débile, on sent par tous les pores de la peau que c'est même malsain, oui mais bon, on est hypnotisé, fasciné, comme le petit lapin face au cobra.
Alors, que, quand même, si on transpose ce phénomène à tout autre domaine de la vie, c'est d'une absurdité à faire peur.
Tenez, si vous allez manger dans un restaurant que vous trouvez immonde, est-ce qu'il vous viendrait à l'idée d'y retourner dès le lendemain ?
Si vous rencontrez un gars que vous trouvez absolument chiantissime, est-ce que vous êtes seulement titillé par l'envie de le rappelez dans la semaine pour passer le week-end prochain ensemble?
Si vous allez voir une vraie daube au cinéma, est-ce que votre premier geste sera d'y retourner à la première heure ?
Si un livre vous tombe des mains après une trentaine de pages, allez-vous frétiller d'aise à l'idée de vous fader les deux-cent cinquantes autres pages rien que pour le plaisir de se faire copieusement chier
(1) ?
Si le lancer de poids vous semble un sport tout à fait inintéressant et dont le sens profond vous échappe totalement, vous sentirez-vous obligé de passer des heures à vous entraîner dans l'emmerdement le plus total ?
Si la peinture vous laisse de marbre malgré vos efforts répétés serez-vous spontanément porté à passer des après-midi entières devant les pires croûtes des musées les plus reculés ?
Hé ben, pourtant, c'est a peu près l'attitude que l'on a bien souvent avec la télé.
Alors on va me dire (et moi le premier) : ouaiiis, c'est normal, c'est pas grave, c'est juste pour se vider la tête, se délasser, on regarde une connerie et ça repose. Bon.
Se vider la tête : voilà qui, en fait, me fait peur. Parce que, et là je pars de mon expérience personnelle bloquée devant le tube cathodique, sous le prétexte de se délasser, c'est effectivement la tête qui se vide. Et quel que soit le recul qu'on est censé pouvoir prendre, quel que soit le niveau socio-culturel présumé préserver de la déchéance crétine, j'ai la ferme impression qu'on est pourtant invariablement influencé et qu'on fini par adopter des réflexes de pensées induits par des paradigmes de fonctionnement propre au monde de représentation de la télé (par exemple, «ne vaut que ce qui fait beaucoup d'audience», etc...).
Et je me vois tellement chagriné d'avoir, du coup, cette paresse intellectuelle à lire ou à apprendre sur des sujets qui pourtant me passionneraient, me privant ainsi malgré moi de richesse incroyables (je me demande si je lirai un jour mon bouquin sur la Mésopotamie...).
Alors, cette capacité de la télévision à capter l'attention et à anéantir la volonté critique et le désir d'action, pose énormément de question sur l'état de la société et ses possibilités de se renouveler, abreuvée qu'elle est d'une télé omniprésente.
Et que penser de ces générations de jeunes enfants et ados dont l'horizon est seulement constitué par cette diabolique machine à images ?
(1) Haaa on me dit à l'oreillette que certains seraient effectivement adeptes du finissage de livre chiant... Hahem... Bon, heu, je m'occupe pas des cas spéciaux, hein, je parle en général, donc revenons à mes moutons je vous prie.